26 févr. 2011

A l'assaut de Stronghold




Stronghold, de I. Trzewiczek fut l'un des jeux évoqué pour prendre la succession de 1960, Kennedy vs Nixon dans notre championnat. Une proposition qui, il faut le reconnaître, ne souleva pas un enthousiasme délirant parmi les aventuriers. La faute, peut-être, à la réputation qu'avait laissé le jeu sur Tric Trac. Après un journal de la création du jeu qui avait fait monter la sauce, le contre-buzz avait été assez terrible. La présence de cubes en bois au lieu de figurines, une première version des règles jugées inadaptée et vite agrémentée d'une FAQ et d'une version 2, des bugs supposés (la barbacane, la configuration deux joueurs, le septième tour.) Tout cela contrastait pourtant avec les faits: une extension et une deuxième édition en cours, preuve que le jeu avait trouvé son public. Il fallait s'en rendre compte par nous même. Ce fut le cas ce 25  février, avec Jost. Bien nous en a pris.





DAMIEN

Rencontre aujourd'hui avec Jost autour de deux parties de Stronghold. Une excellente après-midi. Découverte d'un jeu assez monstrueux, très riche de possibilités, de tension, et qui pose des problématiques vraiment intéressantes. Pas si loin de ce que donnait à vivre 1960. J'étais assez content de l'avoir reçu en échange d'Assyria (qui est très bien, mais plus restreint et étriqué quand même.)  Ah, que ça fait du bien de se faire un jeu avec du panache ! Nous étions vraiment absorbés. Une excellente surprise, très loin des échos mitigés rencontrés sur Tric Trac. 
Le jeu de siège, à deux joueurs, amène une situation passionnante, d'autant que le plateau est très bien pensé et que l'on peut vraiment attaquer à plusieurs endroits, produire du mouvement, du combat, des lignes de tension.  Il faut, dès le départ, se mettre en tête que, compte tenu des forces en présence, la chute de la forteresse est inévitable et que l'enjeu est ailleurs: se comporter dans le siège de manière admirable. Tenir, avec les forces en présence et le temps laissé (par l'attaquant) pour le défenseur. Produire un siège à la fois efficace et riches en fait d'armes pour l'attaquant. rester dans l'histoire. 
 Le système de point de gloire est extrêmement tordu mais très original et assez passionnant, du moins au premier abord. On commence sur le plateau de score à 10/4 pour l'attaquant et à chaque fin de tour, si la forteresse (Stronghold) a tenu l'attaquant cède un point,  9/5, 8/6, 7/7, 6/8, 5/9, 4/10, etc. Le défenseur a aussi des points "variables" qu'il peut convertir en temps et en soldat. Par exemple, les 4 points du départ peuvent être sacrifiés dans des actes déshonorants pour gagner du temps. Il y a aussi deux soldats qui défendent le drapeau et qui, s'ils n'ont pas été bougés avant la fin du sixième tour, rapporteront dès lors un point par tour au défenseur. En contrepartie, l'attaquant à la possibilité de gagner quatre points supplémentaires dans des faits d'armes. L'enjeu est donc le suivant: plus le temps avance et plus l'histoire se rappellera des défenseurs.

Comme une victoire rapporte 3 points, si on perce à la fin du tour 6, on est à  8/9. Si on s'en tient là on a perdu. Il faut donc aller chercher des points complémentaires (objectifs du siège, percées multiples qui rapportent chacune un point) ou obliger l'adversaire à gagner du temps à travers des actes déshonorants (abandonner le drapeau, ouvrir les prisons, etc.) si on veut l'emporter 

Si on ne perce pas avant la fin du septième tour (que l'attaquant commence potentiellement dans une situation de 4/11) c'est chaud. Il faut, en plus de la pénétration, aller chercher cinq points. Pas impossible, mais chaud. Sachant qu'on peut gagner en plus 1 point par mur percé, 4 points objectifs, il faut espérer remplir les quatre objectifs, et avoir percé au moins deux murs. Chaud. Si la victoire n'a pas été rapide, il faut au moins qu'elle soit belle.Mais le sixième tour est aussi le moment où les machines de guerre donnent à plein , où les troupes sont amassées. C'est là où notre machinerie de guerre atteint une certaine efficience. Dans la deuxième partie, j'avais à ce moment rempli deux objectifs et j'aurais pu percer trois murs en même temps (donc cinq points) car le travail de sape avait payé. Le jeu reste incertain jusqu'à ce moment là. 
Il faut donc lever le malentendu qui pourrait laisser croire que c'est un jeu qui se joue en dix tours et dont l'objectif est de prendre une forteresse. Cela ne peut qu'engendrer de la déception ou de l'énervement. La problématique est beaucoup plus tordue que ça. Il y a, comme je le disais plus haut quelques données à intégrer dès le départ, dont les objectifs et le fameux tour 6 qui, une fois passé nous met dans une situation très désavantageuse. Au point que certains ont affirmé de manière péremptoire qu'on ne pouvait plus gagner et que le défenseur n'avait qu'à laisser une brèche, en vidant un rempart, pour précipiter la fin. Point considéré comme un "bug", mais justifié par l'auteur par le fait que la forteresse a tenu suffisamment longtemps pour permettre de mettre à l'abri les femmes et les enfants. 

En fait, la réalité est largement plus complexe: on peut gagner passer le tour 7, mais les conditions pour y parvenir deviennent beaucoup beaucoup plus complexes, tendant vers l'impossible mais ne se confondant pas avec. Une fois cette problématique connue, l'attaquant à tout loisir de construire son jeu en fonction. Par exemple, je me suis aperçu dans la deuxième partie que pour parvenir à remplir l'objectif des 12 gobelins sacrifiés dans des rituels magiques, il fallait s'y prendre tôt, y compris en faisant des rituels (la Pierre de sang par exemple) pas forcément au moment où ils sont le plus efficients. Passé les tours 6-7, rentrer ne suffit plus, et je pense qu'il faut avoir prévu cette situation dès le départ en se préparant à gagner des objectifs et percer à plusieurs endroit en même temps. Ce n'est pas une fois l'échec de la guerre éclair constaté qu'on va pouvoir se retourner vers un siège de grande ampleur. Il doit ainsi y avoir des tours 7 passionnants ou on oblige le défenseur à faire des actes déshonorants pour gagner du temps et empêcher une percée multiple. Mais entre joueurs expérimentés, sans doute. Car il est sans doute difficile pour les novices de voir le bénéfice/risque à sacrifier ces points. Et sans doute que, du coté de l'attaquant, il est difficile d'amener le défenseur à ce choix.
Concernant les règles, le mec qui a fait la FAQ a dit avec justesse: "commençons par un petit coup de gueule, ou plutôt un raz le bol… (...) Je ne comprends pas ces personnes qui disent que les règles de ce jeu sont pourries. Attention, je ne dis pas que je les trouve parfaites loin de là, mais il me semble que trop c’est trop. Personnellement, j’ai lu quatre fois les règles en anglais, deux fois les françaises et la FAQ non officielle sur BGG et voilà pas de soucis.Elles sont sûrement meilleures que la moitié des règles que j’ai lues… De plus, l’auteur a déjà dit qu’il sortirait une seconde version, Iello a précisé qu’il la mettrait à disposition, alors stop quoi. C’est un gros jeu  !!!"  

Oui, un gros jeu, plein de détails, de richesse et donc de points de règle. A la lecture des règles version 2.2 et plus encore après deux parties, je ne peux que rejoindre ce point de vue. Une raison de plus pour prendre de la distance par rapport aux commentaires de Tric Trac. Un peu comme les Mousquetaires du Roy, j'ai l'impression que cet aspect des choses a été survalorisé dans les commentaires. Bref, on a fait plein d'erreurs  (les crochets, les actions spéciales, etc.) et nous avons au débat pas mal recouru à la règle, mais on a pris un super pied. Ne nous mentons pas: Il faut plusieurs lectures préalables de la version corrigée des règles et de la FAQ, ensuite on s’aperçoit en jouant que même les points les plus complexes (le déploiement, la portée des armes, la gestion de l'assaut) trouve une explication. En effet, les règles sont très respectueuses du thème. La portée des canons, l'utilisation des capacités spéciales des cartes, les tours, la portée des archers, la manière de se déployer qui, à la lecture sont des points difficilement compréhensibles, ou qui peuvent être oubliés, s'appuient sur des éléments logiques, réalistes.  Une fois que l'on a compris, cela devient extrêmement logique et la règle est intégrée. Il faut voir que l'idée est de proposer une masse de situations et d'outils très variés et d'apporter une richesse thématique importante. Cela implique forcément des spécificités (portées, protections, etc.), car on n'a rien sans rien. Je pense que si on relit les règles après nos deux parties, on maîtrisera bien le jeu et on sera en mesure de l'expliquer correctement aux gens. Fin du débat. Et, plus important encore, au contraire de nombreux jeux, même des plus simples que Stronghold, nous n'avons pas eu vraiment l'impression de faire une partie pour dégrossir les règles ou voir comment on joue. Non, vraiment, malgré les erreurs -- de notre fait --, le recours au livret et à l'aide de jeu, les point imprécis, le plaisir de jouer n'a été en rien altéré.

Autre aspect qui a été sur-dimensionné à mon sens, dans les commentaires, c'est le déséquilibre à deux joueurs. Là aussi, c'est vrai, probablement, mais ce n'est qu'une partie de la vérité. Je pencherais pour une situation à la Mousquetaires du Roy: l’asymétrie attaquant / défenseur fait que la courbe de progression n'est pas la même. Mais de là à parler de déséquilibre, je ne pense pas, même si ce n'est qu'une intuition. Attaquer demande une vision stratégique plus vaste, être en capacité de construire son assaut progressivement et de bénéficier d'un effet de surprise. Le défenseur joue après, donc oui, forcément il est favorisé. Mais c'est là tout le sel du jeu: comment l'attaquant va intégrer cette problématique. Dans la partie que nous avons fait, masquer ses intentions, maîtriser le temps, laisser au défenseur l'initiative, était passionnant. Les jeux déséquilibrés, ou asymétriques proposent des défis intéressants. Bien sûr, nous étions dans une partie de découverte émaillée de quelques erreurs de règles, mais on a eu la sensation que c'était des victoires et des défaites sur le fil. D'ailleurs, vous remarquerez qu'on s'en fiche un peu au final, de qui a gagné de 1 point. De mémoire, une chacun: 9/10 et 10/9. On a fait des erreurs de règles de part et d'autre qui ont influé sur le résultat. Mais chaque siège a été très serré, avec des victoires ou des défaites se jouant à 1 point. Et ce point il ne manquait souvent pas grand chose (une unité, un ordre, un coup de chance) pour que ça bascule d'un coté ou d'un autre. 


Nous avons constaté une grosse progression tactique de chaque camp entre les deux parties et le sentiment qu'il y a encore beaucoup beaucoup à comprendre. Une des problématiques essentielle de l'assaut est que, pour en arriver à l'assaut il faut passer du camp à l'abord, de l'abord au rempart, et du rempart au mur. Donc inévitablement tu vas stagner au milieu et subir des pertes. Cela tu peux le faire en deux ou trois tours, en fonction de ce que tu choisis en phase 6.: Le petit déploiement donne 3 sablier et t'autorise a bouger 5 unités de chaque lieu., le grand donne 5 sabliers / 8 armées On peut enchaîner les deux dans le même tour pour, par exemple, amener des armées de l'abord jusqu'au mur. Mais à ce moment là, le défenseur aura 8 sabliers (unité de temps servant à réaliser les actions défensives) et tu seras bien reçu. Chaudrons, héros, crochets et autre joyeusetés. Une des clés est sans doute de le faire au bon moment, que même ces 8 sabliers ne soient pas assez. Tout cela pose un certain nombre de problèmes:


- Si tu fais un déplacement massif, tu donnes beaucoup de temps à l'adversaire pour s'organiser.
- Les archers et les engins de défense (canon) taillent pas mal dans tes armées qui sont entre le camps et les murs.
- Que tu déploies 5 unités ou 15 fois 5 unités, le temps utilisé est le même, puisqu'ils se déplacent en même temps.
- Si tu te déploies trop vite, tu vas arriver en slip sur un mur bien préparé.
- Si tu te déploies pas assez vite, les engins de défense, les barricades, les archers, les chaudrons d'huile bouillante seront en place.
- A chaque tour tu reçois de nouvelles unités, mais tu en envois une bonne partie dans les bois construire des engins de siège ou être sacrifiés pour invoquer des puissances des ténèbres. Il faut gérer ça aussi.
- On ne recule pas, on est des monstres sanguinaires...
- Les armées inutilisées coûtent du temps. Elles restent au camp à jouer aux dés et c'est pas bon.


Je pencherais d'ailleurs plutôt pour une stratégie en plusieurs temps. Il faut bien préparer son assaut: travail de sape (catapulte, baliste, etc.), amasser des armées, évaluer les défenses de l'ennemi, repérer les points faibles (éloignement du capitaine, absence de chaudron ou d'engin de défense), engager au corps à corps ou tuer les archers, assaut sur plusieurs fronts (en ayant d'emblée en tête plusieurs objectifs en plus de la percée, par exemple en attaquant tous les murs en même temps, ou en faisant une attaque avec 4 trolls, ou en sacrifiant du gobelin à fond...), se ménager plusieurs possibilités, évaluation des possibilités défensives, peut-être même penser un assaut en deux temps... A première vue il est primordial de gérer ce timing, d'être en capacité d'ouvrir plusieurs fronts, d'affaiblir les défenses adverses (tuer les archers, détruire les barricades), être comptable du temps qu'on laisse au défenseur, ménager des effets de surprise, inverser l'initiative, etc. Les armées sont théoriquement illimitées, mais comme on le disait hier pas le temps. C'est là que le jeu de combat se double d'un jeu de gestion / planification assez fin: les unités de temps, les mouvements, les unités, les forces sont vraiment à évaluer. Ce qui est super intéressant c'est que de la même manière qu'on n'a pas l'impression de jouer avec des cubes, on n'a pas l'impression de faire de la comptabilité sur excel. Parce que, sans doute une part d'instinct et de bluff entre en jeu.


Au final, ce n'est pas forcément un jeu parfait, ni la septième merveille du monde. Il est même probable que le caractère "racé" de ce jeu séduise autant de joueurs qu'il va en repousser. Mais je trouve que l'auteur a réussit deux choses qu'il annonçait. Restituer l'ambiance d'un siège (comme le notait mon collègue, l'immersion est totale malgré les petits cubes) et mettre les joueurs face à des choix, des dilemmes. De ce point de vue, c'est une réussite totale. Je rajouterais qu'il produit un rythme très intéressant. Cela fait qu'il mérite probablement d'être approfondit. Car enfin, nous n'avons pas encore joué selon la règle "normale" qui veut qu'on choisisse nos outils de siège de manière semi-aléatoire. Sans parler de l'extension...

Nous nous sommes quittés avec la forte envie d'en refaire une et avec l'intuition que ce jeu pourrait plaire à beaucoup des ADR avec qui nous avons croisé le fer. Passionnant, on vous dit..


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